Intégrer les dépenses de sous-traitance au CIR sans risques : quelles sont les consignes officielles ?
Intégrer les dépenses de sous-traitance au CIR s’avère complexe pour les entreprises déclarantes, d’autant plus que les dépenses de « recherche confiée » représentent souvent l’un des postes les plus importants de l’assiette du CIR. Pourtant, il manque une définition précise et commune de ces dépenses dans les textes légaux. De nombreuses entreprises – à la fois donneuse d’ordre et sous-traitantes – sont confrontées à un contrôle fiscal sanctionnant une interprétation hasardeuse de la prise en compte de la sous-traitance dans l’assiette du CIR. Dans cet article, nous décryptons la question en rassemblant les consignes laissées par la législation, le Guide du CIR, mais également la jurisprudence de la CAA de Nancy de Mars 2017 pour la SARL Biotek Agriculture.
Intégrer les dépenses de sous-traitance au CIR : que dévoile le Guide du CIR ?
Le Guide du CIR est l’ouvrage de référence publié par le MESRI (Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation) qui présente aux déclarants les attentes des autorités de contrôle en matière d’éligibilité des projets de R&D au dispositif et de dépenses intégrables à l’assiette du CIR.
Dans son édition 2018, le guide indique que, pour pouvoir comptabiliser les dépenses de sous-traitance au CIR, les opérations doivent répondre à certaines conditions :
- correspondre à la réalisation d’opérations de R&D éligibles (le guide précise qu’une prestation sous-traitée qui n’est pas de la R&D n’est pas éligible au CIR même si elle est indispensable à la réalisation du projet)
- avoir été réalisés en interne par le sous-traitant sur la totalité des travaux confiés sans possibilité d’en sous-traiter lui-même tout ou partie
En d’autres termes, cette précision stipule qu’une prestation sous-traitée qui ne constitue pas en elle-même une opération de R&D n’est pas éligible. Depuis, nous avons constaté que cette nouvelle exigence était particulièrement prise au sérieux par l’administration fiscale et les experts mandatés du MESRI lors des contrôles du CIR.
La position officielle transmise par la législation fiscale
Tout d’abord, l’article 244 quater B du Code Général des Impôts, qui est l’article de référence absolu en ce qui concerne la réglementation fiscale, indique que les dépenses de recherche ouvrant droit au crédit d’impôt sont :
- Les dotations aux amortissements des immobilisations, créées ou acquises à l’état neuf et affectées directement à la réalisation d’opérations de recherche scientifique et technique
- Les dépenses de personnel afférentes aux chercheurs et techniciens de recherche directement et exclusivement affectés à ces opérations
- Les autres dépenses de fonctionnement exposées
- Mais également, les dépenses exposées pour « la réalisation d’opérations de même nature » confiées à :
- Des organismes de recherche publics
- Des organismes de recherche privés agréés
Nous remarquons un manque de clarté dans la loi, qui s’exprime de manière assez brève sur l’intégration de la sous-traitance. Nous pouvons tout de même interpréter que « les opérations de même nature » signifie que les opérations éligibles traitées en interne sont identiques aux opérations éligibles sous-traitées.
Pour approfondir la question, la doctrine administrative du Bulletin Officiel des Finances Publiques et de l’Impôt (BOI-BIC-RICI-10-10-20-30-20170405) nous apporte quelques précisions supplémentaires. Elle indique ainsi que les dépenses exposées pour la réalisation d’opérations de recherche, confiées à des organismes de recherche publics, des organismes privés agréés ou à des experts scientifiques ou techniques agréés, sont retenues pour déterminer la base du crédit d’impôt. Sur ce point, cela n’apprend rien de plus que dans le CGI, hormis la prise en compte « d’experts scientifiques » indépendants comme sous-traitants.
Par ailleurs, plus loin dans le texte, nous lisons :
« dès lors qu’un projet est qualifié de projet de R&D, l’ensemble des opérations nécessaires à sa réalisation est considéré comme de la R&D, y compris dans le cas où ces opérations, si elles étaient prises isolément, ne constitueraient pas de la R&D » (BOI-BIC-RICI-10-10-10-20-20161102, §310).
Ce point précis divise beaucoup les entreprises déclarantes ainsi que leurs accompagnants, car il est sujet à plusieurs interprétations possibles, y compris quand il est question d’intégrer la sous-traitance au CIR.
En tant que cabinet de conseil référencé, et avec près de 120 assistances à contrôles fiscaux, nous connaissons bien les attendus de l’administration fiscale. À ce titre, nous portons le regard suivant sur la question : le ministère de la recherche et l’administration fiscale ne peuvent pas séquencer artificiellement un projet global de CIR pour exclure des phases intrinsèquement liées au projet global et ce, même si isolément ces phases n’auraient pas été éligibles. Si en revanche, les phases sont de toute évidence « détachables » du projet d’ensemble et ne remplissent pas les conditions d’éligibilité (par exemple, les études techniques préparatoires de faisabilité), ces dernières peuvent être exclues par le ministère de la recherche et l’administration fiscale.
Dans le cas de la sous-traitance, cela soulève beaucoup d’interrogations quant aux dépenses réellement intégrables dans l’assiette du CIR. Nous avons en mémoire l’expertise réalisée par le MESRI à l’occasion du contrôle fiscal de l’un de nos clients. L’expert mandaté pointait le fait que des opérations de R&D nécessitant des compétences qui existent déjà dans la société déclarante ne peuvent pas être sous-traitées dans le cadre du CIR. De même que des opérations de R&D réalisées par du personnel détaché et mis à la disposition de la société déclarante ne peuvent pas être prises en compte comme de la sous-traitance.
Ce qu’a soulevé la jurisprudence de la SARL Biotek Agriculture
Le 23 mars 2017, les juges de la CAA de Nancy se sont exprimés sur l’éligibilité au CIR de travaux effectués par la société BIOTEK Agriculture, prestataire de service en expérimentation de produits destinés à l’agriculture.
« Il résulte de l’instruction qu’à l’appui de ses prétentions, la société requérante (ici SARL Biotek Agriculture, ndlr) se prévaut des différents travaux menés, en 2007, 2008 et 2009, pour le développement de deux pesticides […], que toutefois, la société requérante s’est bornée à tester les résultats des différentes recherches menées par les sociétés lui ayant demandé d’effectuer ces essais ; que ces essais ne peuvent être regardés comme constituant des opérations de recherche éligibles au crédit d’impôt recherche ; qu’au demeurant, comme il vient d’être dit, l’ensemble des essais menés par la SARL Biotek Agriculture […] l’ont été pour le compte de sociétés tierces ; qu’il s’ensuit que seules ces sociétés pourraient inclure les dépenses qu’elles ont ainsi supportées, en confiant ces opérations à la société requérante, parmi les dépenses éligibles au crédit d’impôt recherche ; qu’il suit de là que la SARL Biotek Agriculture n’est pas fondée à demander, à raison du coût des prestations de services ainsi effectuées, le bénéfice du dispositif […] quand bien même les essais qu’elle a menés s’inscrivaient dans le cadre d’une démarche de développement expérimental et qu’ils étaient indispensables avant toute mise sur le marché des produits phytosanitaires ou la commercialisation des semences »
En d’autres termes, les juges considèrent que les dépenses de R&D « par rattachement » doivent aussi être considérées si elles sont sous-traitées, et pas seulement quand elles sont effectuées en interne. Cette jurisprudence confirme donc l’éligibilité des phases expérimentales et des tests sous-traités à un prestataire externe par le donneur d’ordre, dès lors que ces travaux sont nécessaires aux opérations de R&D internes. Ces activités devront être déclarées par le donneur d’ordre.
Cette jurisprudence date de 2017 mais ce point n’a toujours pas été tranché par une quelconque décision du Conseil d’Etat. Chaque juge ayant le droit d’établir sa propre interprétation d’un texte administratif, il se peut que les dépenses « de rattachement » sous-traitées soient considérées comme éligibles.
Cependant, la valorisation des dépenses de sous-traitance au CIR n’étant pas systématiquement validée par les autorités de contrôle, il faut donc se tenir prêt à défendre son dossier devant les juridictions administratives.
Pour aller plus loin
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